Au début des années 1950, le géologue Jean Fontana, originaire de Haute Provence, trouva à Digne des squelettes pétrifiés correspondant aux spécimens connus sous le nom scientifique d'Hydropitecus. La morphologie de ces squelettes avaient une grande ressemblance avec celle des sirènes décrites dans la mythologie. Fin août 2002, en vacances à Digne, j'avais moi-même photographié sur la voûte d'une grotte, les ossements pétrifiés d'un sirénéen qu'avait observés, un demi siècle auparavant, le célèbre géologue.
Ossements pétrifiés d'hydropithèque (Digne, 2002) |
Par la suite, Fontana poursuivit ses recherches aux environs de Sanary-sur-Mer, y localisant un specimen d'hydropithèque ou "singe des mers" qui aurait peuplé les océans il y a 18 millions d'années. "Il est certain que cette étonnante découverte paléontologique, si elle est vérifiée, va bouleverser toute la théorie de l'Evolution !", pouvait-on lire sur un article publié en 2012 sur le site "Sanary.com".
Ce fut à la demande d'un paléontologue et plongeur amateur local que Fontana réalisa des fouilles subaquatiques à l'est de l'île du Grand Rouveau. Avec l'aide des plongeurs professionnels de Sanary, il réussit à documenter les restes fossilisés d'un extraordinaire exemplaire d'hydropithèque. Cet événement exceptionnel suscita l'enthousiasme du photographe Joan Fontcuberta qui immortalisa sur la pellicule cette incroyable découverte.
Joan Fontcuberta - restes d'hydropithèque (le Grand Rouveau, 2012) |
Les sirènes, ces êtres que l’on pensait légendaires, seraient-elles le chaînon manquant entre l’homme et les mammifères marins ? A partir de cette hypothèse, Joan Fontcuberta conçut autour de ce thème un dispositif artistique tout entier dévolu à la falsification et à la mystification.
Pourtant des momies de sirènes sont conservées dans certains musées européens et temples asiatiques. Au Temple de Zuiryuji (Osaka) est exposée une momie de sirène offerte au Temple en 1682 par un marchand de la région de Sakaï. Une autre momie, conservée au Temple de Myouchi, à Kashiwazaki, dans la région de Niigata, ne mesure que 30 cm de long. Elle est dans une posture étrange, les mains levées au niveau du visage. Cette posture se retrouve d'ailleurs chez plusieurs momies de sirènes conservées, sans qu'on ait la moindre explication la concernant.
Momies de sirènes |
Au Temple de Karukayado, à Hashimoto, dans la région de Wakayama, il y a une momie de sirène mesurant 50 cm. Elle possède des dents pointues qui lui sortent de la bouche, et comme la précédente, elle lève ses mains. On peut observer des écailles sur le bas du corps et des lambeaux de nageoires sur le torse, ainsi que des protubérances pouvant rappeler des seins.
En Europe (Angleterre, Italie, Belgique) plusieurs momies de sirènes sont détenues par des collectionneurs privés ou ont été exposées dans des muséums d'histoire naturelle, tels le musée Stracké Mariakerke à Ostende, en Belgique.
Sirène - musée Stracké Mariakerke d'Ostende (Belgique) |
En me documentant sur le WEB, j'ai découvert l'existence de canulars, comme la photographie d'un squelette humanoïde affublé d'une queue de poisson, laissant imaginer qu'il s'agit d'une sirène. Un court texte accompagne la photo : "Un ancien squelette de sirène, datant d'il y a huit millénaires, a été trouvé en Bulgarie, près de la plage de Sozopol, par le professeur Dimitrov". En fait il s'agit un trucage. La photo originelle représentait un squelette humain découvert lors de fouilles archéologiques en Irlande. Un internaute remplaça les membres inférieurs par une queue de poisson, ajouta un homme accroupi prenant la pose, puis dégrada la qualité de l'image pour rendre le trucage moins décelable.
Squelette de sirène ou canular ? |
A noter qu'il existe une maladie fœtale grave appelée sirénomélie, qui se traduit par la fusion des membres inférieurs, rappelant la sirène dans l'imaginaire collectif, c'est-à-dire avec une queue de poisson. Il va sans dire que les os des membres inférieurs de ces nouveaux nés sont ceux d'êtres humains et non ceux d'un sirénien !
Nouveaux nés atteints de sirénomélie |
A l'origine, les sirènes étaient des créatures de la mythologie grecque, dont le chant envoûtant attirait les marins, amenant ainsi leurs navires à se fracasser sur les récifs. D'après la tradition suivie par le récit homérique de l'Odyssée, il s'agissait de divinités de la mer postées à l'entrée du détroit de Sicile, sur l'île d'Anthémoessa, non loin des monstres Charybde et Scylla.
Deux héros parvinrent pourtant à leur échapper. Le premier, Jason, accompagné de ses valeureux Argonautes, échappa au pouvoir des sirènes grâce à Orphée, dont la voix puissante couvrit leurs propres chants ! Suite à cet échec, les sirènes se changèrent en rochers... Une autre fin de ce récit dit que vexées par la ruse d'Orphée, les sirènes se jetèrent dans les flots où elles périrent.
Gravure représentant Jason et les Sirènes |
Le second héros, Ulysse, suivant les conseils de la magicienne Circé, arriva à passer sans dommage l'île des sirènes. Il ordonna à ses compagnons de se boucher les oreilles avec de la cire d'abeille, pendant que lui se faisait attacher au mât de son bateau, oreilles non bouchées. Ainsi il eut le privilège d'écouter, mais sans y perdre la vie, le chant mélodieux des sirènes !
Ulysse et les Sirènes - peinture de Herbert Draper |
Les représentations de ces monstres mythiques diffèrent selon les récits. Dans l'antiquité elles étaient décrites comme des êtres ailés à buste de femme et aux pattes d'oiseaux, qui attiraient les marins par la beauté de leurs chants, afin de les dévorer. Ces monstres n'avaient évidemment aucun rapport avec les sirènes telles que Christian Andersen les voyait.
La petite sirène de Copenhague |
D'autres récits décrivent des sirènes à tête et à buste de femme se terminant par une queue de poisson : ce sont les nymphes de la mer, filles du dieu-fleuve Achéloos (ou encore de Phorcys) et d'une Muse. On les apercevrait à la surface de l'eau ou bien peignant leurs longs cheveux, assises sur un rocher. Dans ces contes, elles prédisaient l'avenir, faisaient don aux hommes de pouvoirs surnaturels ou tombaient amoureuses des marins qu'elles emmenaient au plus profond de la mer.
La sirène mythique, dévoreuse d'hommes |
La découverte par les occidentaux de mammifères aquatiques tels que le lamantin ou le dugong, que l'on a précisément appelés siréniens, a pu donner une nouvelle consistance au mythe. Chez les siréniens, la vulve s'ouvre en effet ventralement et les mamelles sont en position pectorale, comme chez la femme. La queue aplatie dans le plan horizontal, comme celle des cétacés, aurait pu suggérer une queue de poisson. Tous ces éléments ont très certainement pu alimenter le vieux mythe de la femme-poisson. Ainsi, lorsque Christophe Colomb observa pour la première fois des lamantins d'Amérique, il fit remarquer que ces "sirènes" n'étaient pas aussi belles que celles de la légende !
Sirène et sirénien (dugong) nageant côte à côte |
On retrouve également les sirènes dans la mythologie nordique où elles portent le nom de Havfrues. Elles ont un torse de femme et une queue de poisson. Il en existe de bonnes comme de perfides, mais elles ont toutes un point commun : la beauté. Au plus clair de l'été, quand une légère brume de chaleur se forme sur l'horizon marin, on peut découvrir une Havfrue assise à la surface des eaux, lissant sa longue chevelure avec un peigne d'or. On dit que ces sirènes, qui sont très frileuses, viennent se réchauffer la nuit auprès des feux allumés sur le rivage par les pêcheurs. Leur but inavoué est d'entraîner les hommes qu'elles ont séduits dans leurs repaires sous-marins.
Statue en bronze de sirène (port de Santander, Espagne) |
A ceux qui ont refusé leur amour ou résisté au désir de les suivre, elles jettent des sortilèges. Cela peut se traduire par filets déchirés, poissons pourrissants, tempêtes terribles et naufrages funestes... et quand un marin disparaît en mer, on dit qu'il a été emporté dans les demeures des Havfrues. Dans la mythologie babylonienne, Atergatis, déesse de la lune, fut dotée d’une queue de poisson parce qu’elle représentait le pendant féminin d’Oannès, le dieu-poisson émergeant de la mer d'Erythrée. Tout comme lui, elle sortait de l’océan pour y retourner au terme d'un long périple à travers le ciel nocturne. Elle devait donc également avoir une nature amphibie, moitié humaine, moitié poisson, avec cette différence qu'étant femme elle devait être à la fois moins vigoureuse mais plus mystérieuse qu'Oannès. Ce fut sans doute ainsi que naquit à Babylone la première déesse à corps de poisson.
Statue en bronze de sirène bicaudale (Metropolitan Museum de New-York) |
Au fil du temps ses atouts féminins s'amplifièrent au rythme des légendes : beauté, vanité, orgueil, cruauté, charme... tant et si bien qu'Atergatis et clones que l'on rencontre dans diverses mythologies forment une ascendance fort acceptable pour les sirènes des époques qui suivirent. Même en Thaïlande et au Cambodge, il existe dans l’épopée de Rama, un épisode entre Hanuman, le dieu singe, et Suvannamaccha, une sirène dorée, princesse de son état, ce qui lui vaut d'être parée d'une couronne, de bijoux et de vêtements brodés de fils d'or.
La sirène Suvannamaccha et le dieu singe Hanuman |
Dans l’ornementation de l'art roman moyen-âgeux, la sirène signalait la présence de forces telluriques, comme l’existence d’un courant aquatique souterrain. Le bestiaire médiéval associait la sirène aux créatures marines décrites par les navigateurs et peuplant l'imaginaire.
Le bestiaire médiéval des créatures marines |
Dans la littérature cléricale, la sirène médiévale renvoie à l’image de la tentation à laquelle il convient de résister pour préserver la chasteté et la pureté de l'âme ! Il existe une certaine affinité entre Mélusine et la Vouivre, toutes deux sorties des entrailles de la terre. De même, on pourra trouver des similitudes entre Mélusine et la Fée Morgane, ou encore la Dame du Lac, chère aux Chevaliers de la Table Ronde. Qui ne connaît la légende de Mélusine ? C'est l'histoire d'une fée d'une beauté merveilleuse qui promit à Raimondin de faire de lui un roi s'il acceptait de l'épouser, à condition de ne jamais la voir un samedi. Raimondin ne put s'empêcher de regarder par un trou percé dans le mur Mélusine qui, un samedi, s'était retirée dans sa chambre et s'était muée en serpent. Mélusine, trahie, s'envola à tout jamais en clamant sa peine par des cris effroyables.
La légende de la fée Mélusine |
J'ai beaucoup plongé en différents spots de la mer Méditerranée. J'ai éclairé avec ma lampe-torche des failles au fond desquelles se cachaient mostèles, congres et murènes. J'ai pénétré dans des grottes sous-marines fréquentées par des mérous. J'en ai visité d'autres habitées par des langoustes et devant lesquelles évoluaient des castagnoles rouges...
Melissa la sirène évoluant parmi des anthias |
Mais je n'ai jamais rencontré de sirènes... sauf peut-être dans mes rêves, nageant gracieusement au clair de lune, parmi des poissons multicolores, dans des lagons limpides aux reflets changeants...