Quand je suis passé devant cette mouche noirâtre d'aspect banal, d'environ 9 mm, posée à l'ombre d'un mur, je me suis arrêté, l'ai observé, et avec l'index l'ai poussé pour savoir si elle était toujours en vie. Importunée, elle ne se déplaça que de quelques millimètres. Je cherchais alors mon APN et pris une demi douzaine de photos.
Sur l'écran de mon PC, deux se révélèrent assez nettes pour entreprendre des recherches sur la galerie du Monde des Insectes. Les insectes y sont répartis en 27 ordres, dont celui des diptères, composé de 116 familles regroupant 1737 espèces.
![]() |
| Synthesiomyia nudiseta (photo #1) |
Le 4 janvier je postais sur le forum d'Insecterra, la Terre des Insectes, le post suivant : Photographié hier à Six-fours-les-plages (Var), posée sur un mur, une mouche "banale" que je pensais être une Calliphora. Mais la nervation des ailes s'apparenterait plus à celle des Tachinaires. J'ai visionné diverses photos de Blondelia nigripes, mais ne suis pas convaincu que ce soit elle.
Alex, un des modérateurs du forum me répondait aussitôt : La nervure M sans coude très marqué me ferait plutôt chercher du côté des Muscidae (encore que là, c'est limite), mais après, je ne sais pas trop, ça ne semble pas être un genre que je connais.
![]() |
| Synthesiomyia nudiseta (photo #2) |
Le lendemain je répondais : Merci Axel pour m'avoir orienté sur cette voie. J'ai en effet retrouvé la même nervation des ailes chez les Muscidae, en particulier chez Muscina prolapsa... mais chez notre diptère, pas de couleur orangée sur l'apex du scutelum ni dans le 3ème article antennaire à la base de l'arista. Chez notre spécimen l'antenne est entièrement rouge orangée et le scutelum est de couleur sombre. J'ai pensé un instant qu'il pouvait s'agir d'une mouche du genre Synthesiomyia, espèce nudiseta, mais cette espèce a été répertoriée en Amérique du Nord, au Brésil, au Costa Rica, en Malaisie, en Polynésie, et plus récemment au Portugal, en Espagne (Grenade) et en Italie (Naples)... mais jamais en France !
Réponse d'Axel : Ta proposition, Synthesiomyia nudiseta, me semble être une bonne piste. Ce n'est pas parce qu'elle n'a encore jamais été trouvée en France qu'elle n'y est pas (surtout qu'on manque de spécialistes en diptères). Aussitôt confirmé par Chlorofana, autre spécialiste imminent des diptères : C'est une excellente trouvaille car il s'agit en effet d'un mâle de Synthesiomyia nudiseta !
![]() |
| Synthesiomyia nudiseta (photo #3) |
Voilà, identification réussie et bouclée en deux jours grâce à une participation collaborative avec Insecterra.
Sur le groupe "Les insectes de France" de Facebook, j'ai posté deux photos de la mouche en question. Réponse de deux ignorants qui ont dit en se marrant que c'était... une mouche !
J'ai aussi prévenu l'INPN (Inventaire National du Patrimoine Naturel) de ma découverte, avec envoi de 8 photos pour que cet organisme puisse mettre à jour sa base de données. A ce jour, aucune réponse.
Sur les conseils d'Axel, je me suis inscrit en tant que nouveau membre sur Diptera.info qui recense tous les diptères du Monde. Mon compte n'a été validé que le 18 janvier. Le lendemain je publiais une photo majeure de Synthesiomyia nudiseta sur ce site et le jour suivant j'avais confirmation de l'identification du diptère par Nikita Vikhrev, entomologiste au Muséum Zoologique de l'Université de Moscou.
![]() |
| Synthesiomyia nudiseta (photo #4) |
En résumé nous sommes en présence d'une espèce rare de mouches qui a été photographiée en France pour la première fois en janvier 2019 et qui a été identifiée par des spécialistes en diptères.
D'une longueur de 7 à 10 mm, c'est l’une des plus grandes mouches de la famille des Muscidae. Elle possède une paire d'ailes antérieures et des ailes postérieures appariées, réduites en licou, qui aident à la stabilité et au mouvement pendant le vol. Son abdomen gris, avec un motif ressemblant à un damier, se termine par un segment jaune et orangé. Elle est également reconnaissable à sa nervation alaire, à sa coloration générale noire et grise, à ses antennes orangées et aux quatre bandes longitudinales noires de son thorax.
L'espèce Synthesiomyia nudiseta a été nommée par Frederik Maurits van der Wulp en 1883 et c'est la seule espèce connue du genre Synthesiomyia.
![]() |
| Synthesiomyia nudiseta (photo #5) |
Cette espèce peut être identifiée à tort comme un petit sarcophage. Cependant, elle peut être facilement écartée de la famille des Sarcophagidae car son thorax est constitué de quatre stries longitudinales (au lieu de cinq) et le segment terminal de son abdomen est jaune-orangé au lieu de rouge. Les antennes et les palpes sont également de couleur orangées. Plus en détail, les stigmates postérieurs de la mouche adulte ont des fentes en forme de S qui permettent à l'air de pénétrer dans la trachée de l'insecte. Il contient également un péritrème (1) complet, hautement chitinisé.
![]() |
| Sarcophaga carnaria VS Synthesiomyia nudiseta |
Synthesiomyia nudiseta est essentiellement une sorte de mouche nécrophage. Des larves de S. nudiseta ont été trouvées dans un cadavre au Costa Rica, et il a également été démontré que les larves jouent un rôle important dans la décomposition des carcasses en Malaisie. On dit que S. nudiseta est utile pour reconnaître l'ampleur de l'après-décès et son importance pour l'entomologie médico-légale.
Au Brésil, S. nudiseta est très commune à Rio de Janeiro, où elle est hautement synanthropique (2). Les imagos préfèrent la lumière directe du soleil, mais on peut les trouver à l'ombre, toujours en extérieur.
![]() |
| Synthesiomyia nudiseta (photo #6) |
Les larves préfèrent la charogne (restes humains et animaux) en tant que principale source de nourriture, mais on peut les trouver dans les matières fécales, les matières végétales en décomposition et les ordures. Ces larves ne se nourrissent qu'à la surface de leur nourriture, contrairement aux autres larves du même ordre qui préfèreront s'enfouir. Il a également été constaté que les larves de S. nudiseta sont de très grandes prédatrices et qu'elles sont capables de dévorer les larves de Chrysomya Rufifacies, communément appelée mouche velue.
Le cycle biologique de S. nudiseta, de l’œuf à l’adulte, dure entre 22 et 30 jours et comprend 3 stades. L'espèce survit mieux à la température ambiante et dans des environnements chauds. La plage optimale de survie varie de 25 à 31 degrés Celsius. S. nudiseta peut introduire de quatre à neuf générations par an. Plus la température est élevée, plus le nombre de générations sera grand.
![]() |
| Synthesiomyia nudiseta (photo #7) |
Synthesiomyia nudiseta se rencontre dans les régions tropicales et subtropicales. Aux États-Unis, on la rencontre de la Californie au Texas et de la Caroline du Nord à la Floride.
En Europe, il s'agit d'une espèce introduite qui n'a été identifiée qu'au Portugal, en Espagne, en Italie et depuis 2019 en France. Il y a une explication plausible sur la présence de Synthesiomyia nudiseta en Europe.
Pour l'Espagne (photo prise à Grenade) il peut s'agir d'individus échappés des élevages liés aux instituts médico-légaux situés de Madrid et d'Alicante. Pour l'Italie (photo prise à Naples), il peut s'agir d'un individu en provenance de l'Asie lors d'échanges commerciaux aériens ou maritimes. Pour la France (photo prise à Six-fours, la Coudoulière), je penche pour un cas similaire tout en me remémorant que le moustique-tigre était apparu dans la région niçoise, en provenance de vols touristiques avec la Réunion et les Antilles.
![]() |
| Synthesiomyia nudiseta (photo #8) |
Au bout de 3 mues successives, les larves se transformeront en une pupe brun rougeâtre. La nymphe qui en résultera préférera rester près de la source de nourriture et aura tendance à ne pas migrer loin de celle-ci. Par conséquent, lors des étapes de décomposition d’importance médico-légale, il est essentiel de vérifier toutes les zones situées à proximité du cadavre. Des pupes ont généralement été retrouvés dans les vêtements de la victime, notamment au niveau des ceintures élastiques du pantalon, à la surface intérieure des vêtements de la victime et même dans l'espace situé entre le corps et le sol.
Un exemple concret : le 5 mars 2008, un corps en décomposition d'une femme adulte a été retrouvé au dernier étage d'un immeuble de 13 étages à Kuala Lumpur, en Malaisie. Son corps avait été colonisé par des larves de S. nudiseta, larves généralement associées à des cadavres trouvés à l'intérieur du sol. Ce cas est significatif car il montre que cette espèce peut localiser un cadavre même dans un immeuble de grande hauteur. L'intervalle post-mortem (PMI) a été estimé à environ 5 à 9 jours et a servi à l'enquête judiciaire liée à ce décès.
En savoir plus sur ces insectes venus d'ailleurs ? Alors cliquez ci-après pour "
consulter l'article répertoriant les 17 espèces d'insectes exogènes photographiées à Six-fours".
(1) le péritrème est la prolongation des stigmates
(2) la synanthropie est un phénomène écologique décrivant un type particulier d'interaction durable liant certains animaux non domestiques avec des humains à proximité desquels ils vivent.
Sources : Wikipédia, l'encyclopédie libre
National Center for Biotechnology Information
Photos : RHP Collection (photos non libres de droit)
